C’était il y a plus de 10 ans… C’est loin et c’est près en même temps… C’est resté douloureux et à vif pendant longtemps… Et je sens maintenant que je l’ai pleinement intégré, ça fait partie de moi, de mon histoire, de notre histoire…
Mon fils a 18 mois. Il est mon premier enfant. J’avais 24 ans quand il est né. Je désirais cet enfant depuis longtemps déjà. Je l’ai rêvé. Aimé, avant même qu’il ne soit conçu, aimé sans même le connaître. J’ai imaginé qu’être mère serait le plus beau rôle de ma vie et que ce rôle serait comme une consécration, un aboutissement… Peut-être était-ce pour moi un moyen de me sentir reconnue par mon entourage, par la société…
Mon fils a 18 mois et je vais mal, très mal.
Le soir, je m’endors en me disant que je voudrais ne plus me réveiller. Je rêve d’un long sommeil duquel je ne me réveillerais plus jamais, je rêve d’un accident de voiture… Mourir et ce serait fini… enfin. J’ai tellement mal, je ne suis que souffrance. Mon corps, mon cœur, ma tête… Tout est noué. Et en même temps, je me sens telle une coquille vide… un fantôme. Je flotte au-dessus de moi-même.
Le matin, quand je suis réveillée par mon fils qui m’appelle (cela ne m’arrive plus de me réveiller seule… je pourrais passer mes journées à dormir), ma première pensée est de me demander comment je vais survivre à cette journée.
Encore une journée où tout va se répéter. Je vomis ce quotidien, je n’en peux plus, j’étouffe. J’ai envie de hurler, de pleurer, de partir, de les planter là (mon fils et son père), de prendre la fuite… Je suis étendue sur mon lit et je me demande comment je vais réussir à trouver l’énergie de me lever, de m’habiller, d’habiller mon enfant, de préparer les repas, de vider le lave-vaisselle, d’étendre le linge (ce foutu linge !), de jouer avec lui… C’est ce que fait une bonne mère, non ??? Et moi, je me sens nulle, complètement nulle… Comment est-ce possible d’avoir désiré si fort cet enfant, d’avoir ressenti cette immense vague d’amour pour lui et là… plus rien… Je me sens déconnectée de l’amour que j’ai pour lui.
C’est la descente aux Enfers. Chaque jour devient une épreuve, une lutte, un combat… contre moi, contre mon enfant, contre mon conjoint, contre les autres, contre la Vie…
Quand j’étais enfant, la mère d’une famille qui habitait dans notre lotissement était partie, un jour et pour toujours, sans laisser d’adresse… Beaucoup de jugements avaient été formulés sur cette femme par les adultes autour de moi. Comment peut-on abandonner ses enfants ? Et bien, moi, je sais… Je sais quelle souffrance peut mener à cela. Et dans abandonner, il y a donner. L’espoir de donner quelque chose de mieux, sans ma présence toxique… Je ne ferais plus peser ce poids, cette lourdeur sur les épaules de ce tout-petit garçon. Il mérite mieux que moi. Je m’en suis persuadée.
Souvent, j’explose de colère… Les pinces à linges que mon fils vide de leur panier, son refus de faire la sieste, de s’installer dans le siège-auto ou d’en sortir, de rentrer à la maison… Cela me met hors de moi. Dans ces moments-là, je me dédouble. Je suis violente dans mes mots et parfois dans mes gestes. Il m’arrive aussi souvent de me sentir victime de mon enfant, comme s’il me persécutait. L’image que j’avais de la maternité ne colle pas du tout avec la réalité que je vis. C’est la grande désillusion, la chute dans un puits sans fond…
Malgré cela, étonnamment, à l’extérieur, j’arrive à faire bonne figure… Mon entourage me reproche d’avoir changé, de faire de cet enfant le centre de ma vie, de trop l’écouter… Quand je regarde les photos de cette période, je semble « aller bien ». Et pourtant, à l’intérieur de moi, c’est le néant. Personne n’a vu que j’allais si mal, même pas mon conjoint. Il faut croire que je l’ai bien caché. Je maîtrise l’art du camouflage et surtout, je n’en parle à personne. Je suis dans cette ambiguïté où, d’un côté, je voudrais être seule, ne plus avoir la charge de cet enfant et en être responsable, et en même temps, j’ai très peur que l’on voit que je suis une mauvaise mère et que l’on me retire mon enfant, l’idée de me séparer de lui m’est insupportable. Alors, je ne dis rien. Je fais comme si… Mais à quel prix ! Je suis coupée de moi-même, j’ai l’impression de devenir folle…
Je ressens une telle culpabilité que, pour que ce soit moins douloureux, je surinvestis mon rôle de mère. Je fais (des activités, des promenades, des jeux, des plats maison…). Je veux être parfaite.
C’est le cercle infernal. Je suis en mode pilote automatique mais il n’y a plus personne à bord… Je reproduis des gestes que j’ai vu ma mère faire en me disant que c’est ainsi qu’il faut être mère. Ma vie n’est qu’une succession d’obligations que je m’impose. Je suis là sans être là.
Un jour, je prends conscience que je n’y arriverai pas toute seule. J’ai besoin d’aide. Et mon petit garçon a besoin de moi. Je suis sa mère. Personne ne peut l’être à ma place…
Commence alors pour moi un long chemin pour renaître à moi-même… Sur ce chemin, de nombreuses personnes n’ont pas pu m’apporter de soutien et d’écoute. Je me suis donc mise en mode « fermée pour travaux » parce que, ma priorité, c’était devenu moi ! Je me suis accrochée (et ça a été difficile plus d’une fois!) et j’ai rencontré des personnes qui m’ont accueillie, sans jugement, qui m’ont permis d’apprendre à me faire confiance, à renouer avec ma créativité, à m’accepter, à m’aimer. Un ostéopathe, une psychothérapeute, une prof de yoga, une prof de théâtre, des amies… S’entourer de personnes qui prennent soin de soi pour, à son tour, prendre soin de l’autre, et notamment prendre soin de son enfant.
Ce n’est que quelques années plus tard, en regardant une émission, que j’entends une spécialiste parler de cet état d’épuisement et le nommer « burn-out parental ». Des mères témoignent… Je me retrouve dans chacun de leurs mots. Alors, c’est ça ! C’est ce qui m’est arrivé, et je ne suis pas la seule. Je vais mieux maintenant mais quel soulagement, quel soutien pour moi d’entendre parler de ce que j’ai vécu, de comprendre.
Les prises de conscience se sont succédées, mois après mois, année après année, pour, peu à peu, m’amener à lâcher ce qui m’empêchait de profiter pleinement de la vie aux côtés de mes enfants. Je me suis (re)construite, pas à pas, pierre après pierre. Que de temps consacré à réfléchir, à détricoter, à m’ouvrir. Que d’énergie pour parvenir à faire autrement, pour sortir de schémas si profondément ancrés en moi, pour devenir moi-même, pour me reconnecter à mes envies. Pour ne plus jouer un rôle de mère mais être mère. Et être mère, c’est une partie de moi qui est nourrie par tout ce que je suis.
Aller à la rencontre de soi peut être douloureux mais c’est aussi passionnant. Merci à mes enfants pour ce merveilleux cadeau !
Article publié dans le magazine PEPS n°25 – Dossier « Le burn-out parental »